Pater Noster [PV Christophe]

Comment expliquer l'exaltation et le bonheur qu'elle ressentait dès lors qu'elle franchissait le seuil d'une église? Difficile. Cela résidait peut-être dans ce sentiment de sérénité du au calme de la maison de Dieu. Ou, de façon plus terre-à-terre, dans la sécurité ressentie, due au fait que les vampires ne pouvaient entrer ici.
Alors voilà. Sylvia, jolie blondinette, surtout lorsqu'elle n'avait pas cet air de tueur fou – on l'appelait pas la Faucheuse pour rien – était entrée d'un pas lent et serein dans ce havre de paix, s'avançant dans les rangées avec calme.

Il ne fallait pas rêver, elle avait quand même son sabre attaché à sa ceinture. On ne sait jamais, lorsqu'on n'est pas dans une église, on devient vulnérable face à ses nombreux ennemis. Le curé lui fit remarquer, mais elle n'en tint nullement compte, s'avançant jusqu'au crucifix, à la statue du Christ derrière l'autel, ce martyr qui les rendait tous humbles.
Elle ne put s'empêcher de penser un instant à cette stupide directrice. Elle ne l'aimait pas. Premièrement, parce qu'elle protégeait les vampires. Ensuite parce qu'elle était du côté de cette saloperie de De Jilard. Et enfin, parce qu'elle enseignait et était passionnée par l'histoire d'une religion, et lui donnait ce côté terre-à-terre lui ôtant toute mysticité, oubliant jusqu'à son caractère spirituel pour n'en faire plus qu'un évènement dans l'histoire. Ca l'énervait, ça l'écoeurait. Car oui, contre toute attente, Sylvia était croyante.

La jeune femme se mit à genoux devant la statue, fermant lentement les yeux et joignant les mains, baissant le visage.

« Pater noster, qui es in caelis (Notre Père qui es aux cieux)
Sanctificetur nomen tuum (que ton nom soit sanctifié)
Adveniat regnum tuum (que ton règne vienne,)
Fiat voluntas tua (que ta volonté soit faite)
Sicut in caelo et in terra. (sur la terre comme au ciel.)
Panem nostrum quotidianum (Donne-nous aujourd’hui)
Da nobis hodie (notre pain de ce jour,)
Et dimitte nobis debita nostra (pardonne-nous nos offenses)
Sicut et nos dimittimus (comme nous pardonnons aussi)
Debitoribus nostris (à ceux qui nous ont offensés)
Et ne nos inducas in tentationem (et ne nous soumets pas à la tentation)
Sed libera nos a malo. (mais délivre-nous du mal.)
Amen. »

Uviista laissa ces paroles traverser ses lèvres, le Pater Noster, en latin, comme on ne le récitait plus depuis bien longtemps. Mais elle trouvait que cette langue morte donnait une dimension tellement plus réelle, plus spirituelle, qu'elle le préférait ainsi. Elle en aurait presque oublié ses soucis faits de vampires, pour une fois.

Chris n'allait pas bien. Il avait très très mal à la tête, arborait des bleus sur tout le corps et une magnifique bosse au milieu du front. Il était tombé et avait dévalé tous les escaliers du manoir. Depuis le grenier. Comme si cela ne suffisait pas, il était tombé dans le lac et s'était pris une porte ouverte beaucoup trop fort. Toutes les cellules de son corps hurlaient leur souffrance. Et dire que c'était le seul jour de congé qu'il s'offrirait de l'année... Pas cool.

Il venait rarement dans les églises, mais au moins une fois par an. Pour dire adieu à sa mère, lui offrir une prière. Pour qu'elle sache qu'il pensait encore à elle, morte dix-sept ans plus tôt. Il n'en voulait pas aux vampires qui l'avaient tuée. Ils étaient des E, ils n'avaient as pu se contrôler. Bien sûr, il était triste qu'elle soit morte. Tout aurait été si différent si elle n'était pas morte... Pas mieux ni pire, mais différent. Il priait pour qu'elle soit heureuse, là-haut. Si là-haut existait. Chris était un scientifique, il voulait des preuves, mais la religion le rassurait. Non, il ne serait pas qu'un cadavre pourrissant et livré aux vers de terre, il y avait une vie après la mort pour les gens honnêtes et purs. Il enfreignait donc ses principes de Saint Thomas en ce sujet, se rassurant pour sa mère et lui-même.

Ainsi, il s'avançait dans les travées, vers l'autel. Lorsqu'il aperut la jeune femme blonde, il se figea. Elle lui rappelait inexplicablement une amie d'enfance. La prière en latin accentuait la coïncidence malheureuse. Il se souvenait...
Plusieurs années de cela, il priait, dans une autre église. Pour la même raison. Une jeune fille se trouvait là, priant elle aussi, en latin. Il s'était installé loin d'elle, pour ne pas la déranger. En sortant, il avait failli se tuer en glissant sur le parvis. Elle l'avait relevé en riant. Début d'une longue amitié. Elle était au même collège que lui, ils s'entendaient parfaitement. Et puis un jour, sans explications, elle avait disparu. Pfiou, envolée. Il ne l'avait plus jamais revue.

Mais ces cheveux blonds cendré lui rappelaient tellement... Il s'enhardit et finit par murmurer le nom, pour être fixé sur l'identité de la eune femme.

" Sylvia ? "

Les yeux clos, dans uns posture de prière, Sylvia avait complètement baissé sa garde. Oh, bien sûr, le sabre accroché à sa ceinture pouvait dissuader n'importe qui qui entrerait avec de mauvaises intentions, néanmoins... Elle était facile à attaquer, là. Mais dans une église, elle ne risquait pas grand chose.
Enfin, tout ça pour dire qu'il y avait peu de chances pour qu'elle ait entendu l'entrée de Christophe. Ainsi donc, rien ne put troubler l'avancée du professeur dans la grande et silencieuse église. Ceci dit, il eut été difficile pour la jeune femme de ne pas entendre une voix l'appeler. Une voix grave et profonde, mais surtout hésitante. Elle ne connaissait pas cette voix - elle n'avait pas entendu la voix de l'homme après mue - et rares étaient ceux qui prononçait son prénom avec tant d'hésitation. A vrai dire, on y ressentait plus de la haine qu'autre chose, très sincèrement... Et là... Rien.

C'est surtout pour cela que Sylvia se redressa, lentement, un peu intriguée. Une fois debout, elle posa la main sur la garde de son sabre, prête à l'attaque, et pivota calmement sur un pied. Et se figea. Devant elle, ce n'était pas un ennemi comme elle en avait à la pelle. Non, c'était un homme de son âge, grand et calme, au regard hésitant et qui visiblement avait passé une mauvaise journée. Ce regard plein de savoir, cette façon de se tenir, ces cheveux noirs...

<< Christophe... >>

Car oui, c'était bien lui - ça ne pouvait être que lui. C'était tout simplement... Improbable ! Mais que venait-il donc faire par ici? Comment... La jeune femme en resta coi plusieurs secondes, avant de ciller et de se raissasir.

<< Mais par quel miracle... Que fais-tu par ici? >>

C'est dangeureux ! aurait-elle pu ajouter. Avec tous ces vampires qui trainaient dans le coin, tiens... Notamment cette saloperie à qui elle tordrait volontiers le cou...

Il observa anxieusement la jeune femme réagir, puis se retourner lentement. Elle tenait un sabre étrange à la main, mais il ne voyait que les yeux noirs, les yeux de son souvenir. Et elle le reconnaissait aussi. Ainsi donc, il venait de retrouver un fantôme de son passé, souvenir à demi enfoui. Il avait d'abord cru qu'elle reviendrait puis avait espéré oublier cette angoisse qui lui comprimait le coeur chaque fois qu'il pensait à elle. Il avait cru qu'elle était morte, finalement, en voyant l'annoce de l'incendie au journal. Il avait fait son deuil puis avait repris sa vie, en lui adressant de temps à autre une pensée nostalgique. Il avait été si sûr qu'il ne la reverrait jamais. Mais elle avait eu la bonne idée de réapparaître. Comme quoi le hasard faisait parfois très bien les choses.

Sylvia paraissait aussi surprise que lui. Elle restait figée, le détaillant, puis finit enfin par le reconnaître. Aussi surprise que lui, apparement.
Le jeune homme réfléchit un instant à ce qu'il allait lui répondre. Tant d'eau avait coulé sous les ponts depuis leurs rêves de collégiens ! A l'époque, il voulait travailler à la NASA, ce qu'il avait fait mais il avait été déçu. Aucun des scientifiques n'aimait réellement ce travail, uniquement la paye qui allait avec. Puis il s'était reconverti dans l'enseignement, pour aprendre à de jeunes esprits ce qu'il aimait plus que tout au monde, les maths.

" Je... J'enseigne à l'Académie..."

Il avait prononcé ces quelques mots en rougissant, presque honteux. Bien sûr, il aimait son métier, mais il avait peur que Sylvia le trouve trop différent du passé, qu'elle ne veuille plus le voir car il avait abandonné son rêve. Le jeune homme était loin de se douter qu'il n'avait pas autant changé qu'elle.
Ses yeux toujours dans ceux de la jeune femme, il n'avait rien remarqué de son allure étrange, sur la défensive et du sabre qu'elle tenait.

J'enseigne à l'académie. Une balle en plein coeur n'aurait pu avoir plus d'impact que ces quelques mots sur la Faucheuse. Bien sûr, n'importe quel hunter aurait eu une pensée évidente : c'est un contact à l'Académie, qui me permettra de me rapprocher de ma cible. Sauf que dans cette situation, la jeune femme n'avait plus rien d'un hunter quelconque ; elle était face à un vieil ami en situation délicate, très dangereuse. Il était dans un terrain plus que miné, à la merci de cet enfoiré, cette pourriture qui lui avait pris sa soeur...

<< Tu ne devrais pas, souffla-t-elle d'une voix douce, que peu de personnes lui connaissaient. >>

Elle n'exagérait en rien. Quitte cet endroit maudit, où seuls les fous osent encore se rendre.

<< Tu n'imagines pas le danger que tu risques en restant là bas, Christophe. >>

La jeune femme secoua la tête ; elle était liée par le secret professionnel, elle ne pouvait rien dire à son ami d'enfance, sur l'existence de ces créatures du mal. Alors elle se força à sourire doucement, partant sur un autre sujet de conversation, plus trivial.

<< Alors, depuis tout ce temps, tu es devenu professeur? De mathématiques, j'imagine... Tu as abandonné tes rêves? >>

Tu peux causer ma vieille. Après tout, qui a abandonné ses rêves d'enfant pour courir à la chasse aux vampires? L'enfant qui désirait plus que tout devenir médecin était bien loin... Si loin que son scalpel qui devait servir à soigner en était devenu un sabre qui servait à tuer.

Mais que ? Mais que ?
Sylvia qui le mettait en garde, et pour une fois sans ironie. Qu'avait-il bien pu lui arriver durant toutes ces années ? Qu'avait-elle découvert, également, qui lui faisait si peur sur son lieu de travail ?
Le jeune homme n'avait remarqué aucune particularité suspecte dans cette académie, hormis le fait que des vampires y habitent. Peut-être que son amie parlait de cela ? Mais non, voyons, elle ne pouvait pas être au courant, et même si elle l'était, on devait lui avoir effacé la mémoire. Et pourtant, quoi d'autre pouvait lui donner ce teint apeuré ? Aurait-elle découvert plus dangereux que les vampires ?

" De quoi parles-tu ? Le seul danger qui pourrait me guetter n'est pas dans ma classe. "

Le jeune homme s'était offert une pointe d'humour, un test aussi, car si la jeune feme pensait aux suceurs de sang, elle comprendrait l'allusion. Et sinon, elle saurait qu'il n'avait pas perdu sa tendance à faire de l'humour moisi en boîte rose à pois verts.

Par contre, il baissa légèrement la tête en entendant la remarque sur son rêve. Et ce fut là qu'il aperçut le sabre. Argh ! Depuis quand elle avait un sabre à la main ? Le professeur sentit un léger vertige le saisir. Il avait toujours eu peur des armes. Toutes les armes, tout ce qui pouvait faire mal, en fait. Et voir sa Sylvia, qui avait su comprendre et partager sa répulsion avec cette lame... Argh.
Il ne laissa cependant rien transparaître, à peine une légère lueur de crainte dns ses yeux. Il choisit l'humour, pour se restabiliser.

" Mon rêve n'était plus à la hauteur, plutôt. Et toi, à quelle adresse puis-je me faire soigner ? "

Bien qu'il doutât qu'elle ait poursuivi, à voir le sabre. Ils avaient apparemment tous deux beaucoup changé. Sauraient-ils réapprendre l'autre ou le rejetteraient-ils ? Christophe ne voulait pas perdre la jeune femme après l'avoir retrouvée, et il était près à l'accepter malgré la répulsion que cette arme lui inspirait. Mais elle, voudrait-elle encore de lui comme ami ? Ils avaient vécu leurs expériences loin l'un de l'autre et étaient passés par des moments différents. Une amitié se forge dans le partage, or ils semblaient tllement différents à présent... Mais qu'importe, le jeune homme tenait plus que tout à son amie, à la retrouver.