Joyeux Noël !

L'immense inscription surplombait l'entrée de la salle des fêtes, argentée sur la banderole rouge. Visible depuis l'endroit où la jeune fille se trouvait, un immense sapin la narguait. Orwy n'avait jamais compris en quoi ce grand truc vert plein d'épines était nécessaire aux fêtes de fin d'années. Comme ces cadeaux que les humains s'échangeaient. Comme ces fêtes en elles-mêmes, d'ailleurs. La russe détestait cela, tout ce bruit, tout ce monde. Si elle avait eu le choix, elle serait restée sur le toit de son bungalow à jouer de l'harmonica. Seulement, le choix, elle ne l'avait pas. Il fallait qu'elle se montre à cette fête, pour le renom de sa famille. Et de préférence en ayant l'air parfaite, comme toujours. Cela allait finir par la rendre dingue. Il fallait être méchante, imbuvable. Ne laisser personne voir ce qu'elle pensait. Il fallait jouer la comédie, encore et encore.

D'un pas décidé, la russe entra et jeta un coup d'oeil sur le machin vert avant de se détourner. Bien sûr que non, elle ne poserait pas de cadeaux. Voyons, une Van Dingelchen ! Pourtant, avant même le début de la soirée, quelques paquets argentés attendaient au pied du sapin. Parfait. Il n'y avait pas d'expéditeur, seulement un destinataire, calligraphié sur une étiquette blanche. Le contenu des cadeaux désignaient facilement leur auteure, mais personne n'accepterait de croire que c'était elle. Tout allait bien, elle leur ferait plaisir, n'aurait aucun remerciement et continuerait dans le rôle de la méchante. Voilà.

Pour Héléna, elle avait choisi un stylo-plume, argenté avec un diamant noir au bout. Sobre, mais cher, d'une grande marque russe. Pour Sixtine, l'esthète, ses plus belle photos de Moscou, tirage noir et blanc. Pour Seina, l'ignorée, un portrait au fusain, très ressemblant, pour qu'elle sache que quelqu'un savait qu'elle existait et l'appréciait. Pour Anaëlle, qui ne pouvait voir, un assortiment de thés russes aux fragrances envoutantes. Pour Eve, qu'elle connaissait mal, un châle en soie noire, brodé de fleurs, noires elle aussi, comme on n'en trouvait qu'à Saint-Petersbourg. Pour Keyra, une chainette argentée avec un pendentif en rose de Noël. Et Thomas aurait droit à une nouvelle, La Dame de Pique, de Pouchkine, calligraphiée par ses soins.

Ainsi, quelques élus auraient eu droit à un cadeau de la Reine des Glaces. Pas d'autres. Na. La jeune fille n'espérait aucun cadeau, ni aucune affection. On est si seul lorsqu'on atteint la perfection... Ou qu'on la recherche juste.
Orwalle portait pour l'occasion une robe noire d'un grand couturier. Devant, un col qui lui dénudait les épaules, rattaché par deux chaînettes argentées. Derrière, un decolleté qui lui dénudait le dos jusqu'aux reins, où il s'arrêtait dans une cascade de plis. Une jupe s'arrêtant au genou, vaporeuse et ornée de tulle argentée en bas complétait cette robe. Les cheveux noirs étaient lachés et melés de quelques rubans argentés. Elle était prête à danser, attendant juste qu'on l'invite.

Alphonse se devait de participer au bal de Noël, comme chaque année. De toutes façons il n'y avait rien d'autre à faire les soirs de 'fête' comme celui-ci. Pour l'occasion le jeune homme s'était rendu en ville chez son tailleur habituel. Un grand couturier chic et cher qui le conseillait en fonction des cérémonies auxquelles il se rendait. Généralement il ressortait habillé d'un simple costume noir mais ce jour là le couturier voulait lui faire essayer quelque chose de différent pour que, en plus d'être élégant, il soit remarqué dans la salle. Alphonse n'étant pas d'humeur à réfléchir à son apparence pour le moment avait accepté et était ressorti du magasin avec un paquet bien différent des autres fois.

Le voici donc devant la salle des fêtes vêtu d'un costume blanc crème impeccablement taillé dévoilant ses muscles bien dessinés et sa silhouette fine. Sa chemise, noire, n'était pas boutonnée jusqu'en haut mais, au contraire, laissait apparaître le haut de son torse clair et sa cravate, noire elle aussi, était parfaitement nouée comme le lui avait appris sa mère quelques années auparavant.
A l'entrée de la salle se trouvait un grand sapin, coutume humaine lors de Noël, sous lequel il déposa discrètement un seul et unique paquet orangé dans lequel se trouvait un revolver anti-vampire de la dernière génération noir laqué. Ce cadeau était destiné à Thomas, la seule personne avec qui il lui arrivait de parler et qu'il respectait un minimum. Il a eu du mal à l'acheter ce révolver contre sa race mais il faut bien faire des sacrifices de temps en temps, tant que ses parents n'étaient pas au courant...

Au fond de la pièce, seule, attendait une jeune femme. Qu'attendait-elle ? Alphonse ne le savait pas mais il se dirigea vers elle. Au fur et à mesure qu'il avançait il la voyait mieux mais ses lentilles, vertes ce soir, l'empêchait de bien distinguer ses traits. Elle devait avoir une quinzaine d'années, ses longs cheveux noirs ornés de rubans argentés tombait dans son dos dénudé par un long décolleté s'arrêtant au bas des reins. Le devant de la robe, lui, n'était formé que d'un col raisonnable qui laissait apparaître les épaules de la fille. La robe se finissait au genou par un tissu vaporeux. Ainsi habillé elle était fort élégante et attirait étrangement le vampire.
Et puis son esprit se clarifia, c'était Orwalle, la sœur de Viktor. Il en avait beaucoup entendu parlé par son ami mais il ne l'avait jamais vu, ou sinon seulement aperçu.

Il était maintenant à son niveau et il lui semblait que la température baissait.

-Ennuyeuse cette soirée pour le moment n'est ce pas ?

Il avait dit ça sur un ton chaud et posé mais presque chuchoté en plongeant directement son regard dans celui de la jeune fille. Il avait décidé de s'amuser ce soir ...

Hhmm... Remarquée par le sang-pur Alphonse Hoch, la grande classe...

Lorsqu'il était entré dans la salle, Orwalle l'avait immédiatement reconnu. Pour deux raisons : un, c'était un sang-pur et elle se devait de connaître parfaitement toutes les familles un minimum importantes sur le bout des doigts. Et deux, depuis que son frangin était à l'Académie, son grand ami avait plusieurs fois passé des vacances dans le grand manoir. Oh, bien sûr, elle évitait de se montrer, mais avait des yeux et des oreilles. Et durant ces séances d'espionnage, elle en avait assez appris pour savoir que le jeune homme était le genre de personne que ses parents seraient ravis d'avoir pour gendre. Oh, bien sûr, ce serait elle qui choisirait -sinon il y aurait une étrange panne de chauffage- mais elle tenait un minimum à ne pas être reniée pour avoir simplement flirté avec la personne qu'il ne fallait pas.

L'ami de son frère était très élégant ce soir. Le smoking crème et la chemise noire contrastaient agréablement avec les uniformes de pingouins des autres garçons. Lorsqu'il s'approcha d'elle, elle laissa légèrement baisser la température, histoire qu'il se rapelle qui elle était si il avait oublié. Des couples commençaient à se former sur la piste de danse, pas forcément les plus prévisibles. Ce genre de fêtes était intéressant, à cause de ce côté coincé du début puis du relâchement graduel au long de la soirée. Intéressant, mais être seulement un observateur ennuyait un peu la russe. C'est pourquoi elle choisit de répondre à Alphonse comme elle ne l'aurait jamais fait en temps normal, en fixant ses lentilles vertes de son regard étrangement mélancolique. Elle murmura elle aussi, ne voulant pas rompre cet ersatz d'entente plutôt inattendu.

- Ils ont l'air si insouciants... Si ils savaient les problèmes qu'ils risquent à nous cotoyer...

Oui, l'animation s'emparerait de la fête plus tard. Gommant les différences entre humains et vampires. Tous jeunes, tous pressés de s'amuser, de vivre. Au fond, ils n'étaient pas différents. Seuls les vampires de leur rang pouvaient percevoir les risques de cette soirée, les risques qu'un D échauffé par l'ambiance vire E.
Les grandes familles n'avaient pas le droit d'être spontanées. Il fallait conserver les apparences, avoir l'air heureux. N'avait-elle pas le droit de faire ce qui lui plaisait pour une fois ? De lâcher prise, s'abandonner, se laisser griser...
Les yeux noirs semblèrent traversés par une brume étrange, rêveuse. Elle était si loin d'eux, si décalée. Elle s'abritait derrière sa muraille infranchissable depuis si longtemps et avait fini par en être prisonnière au fil des années. Elle ne savait plus s'oublier, être heureuse pour de bon, sans faire semblant...

Orwalle s'accrocha aussi à son regard et lui répondit en murmurant:

« - Ils ont l'air si insouciants... Si ils savaient les problèmes qu'ils risquent à nous côtoyer... »

Son regard de glace le fit frissonner quelques instants mais il se ressaisit vite en la regardant plus intensément

-Insouciants mais intéressants. Cependant trop prévisibles. Ils ne tentent pas trop de nous approcher, peut-être préfèrent-ils ignorer qui nous sommes.

En disant cela, Alphonse excluait évidement les adolescentes du Bloody Love, mais il pensait bien qu'Orwalle avait compris. Du peu qu'il connaissait d'elle, il savait qu'elle était intelligente. Il avait fait quelques séjour chez son ami Viktor mais à chaque fois elle ne se montrait pas, ou peu. Il devait avouer qu'il n'avait jamais vraiment remarqué qu'elle était plutôt jolie à regarder mais il faut dire qu'elle se cache souvent sous ses vêtements pour se donner cette allure glacée. Brisons la glace mes amis, brisons la glace.

-Viendrais tu rejoindre les quelques couples déjà présents sur la piste avec moi ? Mais nous serons dévisagés, j'imagine que tu le sais. Normalement j'évite de me faire remarquer mais ce soir est un soir particulier. Alors m'accorderais tu cette longue danse ?

Il n'avait toujours pas lâché les pupilles d'Orwalle et désirait vraiment voir si elle était capable de le suivre sur la piste de danse.

Les deux jeunes gens avaient les yeux rivés dans ceux de l'autre. Un étrange dialogue s'installait, dialogue où les silences en disaient tant que les mots devenaient facultatifs. Un dialogue secret, incompréhensible pour de simples humains. Les lentilles vertes d'Alphonse dissimulaient mal une intensité palpable. Elle ne lui répondit pas. Elle comprenait, il comprenait, pas besoin de phrases creuses. De ses séjours, elle ne se rapellait qu'un adolescent arrogant, de la même trempe que son frère. Pourtant, les rares fois où elle l'avait croisé par hasard dansles couloirs du manoir, il avait su se montrer courtois. Pas chalereux, mais galant, comme l'exigeait leur éducation commune.

Pourtant, ce soir, aucune place pour l'éducation. L'invitation qu'il avait murmuré sonnait comme un défi, un défi que la russe ne pouvait se permettre d'ignorer, ou de perdre. Un défi dont le gagnant pouvait sortir perdant. Un nouveau genre de roulette russe. Ajouté au ton, l'intensité du regard conférait à la phrase somme toute inofensive un côté aux limites de la décence. Avec le tutoiement, elle aurait dû se sentir troublée, mais il savait comme elle qu'elle ne se serait jamais permis de le montrer. Pourtant le jeune homme devait savoir qu'elle avait l'habitude d'être dévisagée. Elle appartenait à la Day Class mais se comportait comme on le lui avait appris. Cocktail explosif.

Elle fixa Alphonse d'un regard troublant puis esquissa un sourire. Leur éducation avait bien évidemment compris des cours de danse, de musique et de maintien. Cela paraissait inutile et désuet, pourtant cela permettait d'être à l'aise sur n'importe quel rythme, dans n'importe quelle salle. Elle relèverait le défi. Elle répondit calmement, un chouïa plus chalereuse que d'habitude. Une légère étincelle dans le regard et une longue main fine qu'elle posa délicatement sur l'avant-bras du jeune homme dirent tout ce que ses lèvres refusèrent de traduire.

- Avec plaisir.

Elle le laissait l'entraîner sur la piste, le laissait prendre l'initiative. Après tout, peut-être qu'elle pouvait se détendre, pour une fois, laisser les décisions à quelqu'un d'autre. Au pire, que ferait-il ? Il la serrerait d'un peu trop près, comportement communément admis lors des fêtes de fin d'année. Viktor n'aurait rien à rapporter à ses parents et même eux ne pourraient rien dire, compte tenu du rang du jeune homme. Orwalle s'offrait un flirt dangereux, elle le savait, mais son frère avait fait pire.

Il ne savait pas ce qu'elle allait répondre et le doute était presque normal vu à qui il parlait mais il lui semblait distinguer dans son regard qu'elle allait accepter. Une étincelle noire, froide passe dans son regard puis elle posa sa main sur l'avant bras d'Alphonse en lui répondant qu'elle acceptait.
Alors il l'emmena sur la piste. Lorsqu'ils passèrent, tous les couples s'écartèrent en leur laissant le passage. La crainte ainsi que l'admiration vouée au nouveau couple se lisaient sur tous les visages des danseurs humains déjà présents et, quand ils s'arrêtèrent avant de commencer à danser, presque tous les yeux étaient tournés vers eux. Ignorant les regards, il posa sa main droite un peu au dessus de la taille de sa cavalière et lui pris l'autre main. Ainsi il l'entraina dans une danse qu'il voulait sensuelle. Un tango argentin. Ils étaient proche l'un de l'autre, ils se mouvaient avec grâce et précision, aucun faux pas, ils ne trébuchèrent pas. Chacun dansait à sa manière. Le feu et la glace. La musique, déjà rapide, s'accéléra mais ils continuèrent, peu ébranlés par ce changement. Il laissait Orwalle danser pendant qu'il faisait ses mouvements et, lors des passes plus compliqués, il durcissait ses mouvements, ne connaissant pas encore très bien la souplesse de la jeune fille.
La danse continua et à aucun moment il ne quitta le regard de sa cavalière. Il restait concentré et ne se souciait plus que de la musique et de ses pas, ça devait être parfait. A leur image, simplement parfait.
La musique ralentit, les deux jeunes gens se resserrèrent et, lors d'un corps à corps particulièrement intense, il glisse sa bouche près de son oreille et souffla:

-Détends toi... Enlève ce stupide masque de glace, tu es trop rigide ... Tu pourrais faire de nombreuses choses qui te sont inaccessibles si tu arrêtais d'être aussi... Froide.

Il avait dit ça presque sans le dire, tellement doucement qu'il savait qu'elle était la seule a avoir entendu...
Mais elle dansait bien ... Très bien, il espérait seulement qu'elle ne se vexerait pas et qu'elle continuerait de danser avec lui, sinon sa soirée serait fichue.

Pourquoi cet air un peu étonné lorsqu'elle accepta ? Oh, pas grand chose, juste un éclat fugace dans le regard. A l'échelle de la russe, un hurlement. Le même que ces couples qui s'écartèrent pour les laisser passer. Orwalle et un Night Class, Alphonse et une Day Class. Humains ou vampires, ils étaient surpris. Dans la catégorie couples improbables, il ne manquerait plus que le prof de maths et Uviista. Les humains s'écartèrent au passage des deux vampires, repoussés par quelque chose qu'ils ne comprenaient pas. Une impression de danger, en même temps qu'une harmonie totale, se dégageait du couple. Les deux semblaient deux faces opposées, Yin et Yang, Nord et Sud. Pourtant, ils étaient curieusement assortis par cette différence.

La main d'Alphonse se posa légèrement au-dessus de sa taille tandis qu'Orwalle plaçait les siennes. A leur position et aux premières notes de la musique, elle comprit ce qu'il comptait lui faire danser. Tango argentin, difficile et sensuel. Adapté à la musique. Des humains étaient revenus se trémousser sur la piste. Ils s'écartèrent à leurs premiers pas. Danse de proximité et de précision, leur tango parlait d'éternité. Lui, dynamique, impulsif. Parfait. Elle, froide, contrôlant totalement son corps. Parfaite. Feu et glace. Lui et Elle. Alphonse et Orwalle.

Les humains s'écartaient pour leur laisser la place, s'approchaient pour admirer. Une bulle, de haine et de désir, maintenait les autres à distance. Lorsque la musique accéléra, la jeune fille ressera légèrement sa prise, enchaînant des passes bien plus compliquées. Avec souplesse, mais toujours ce contrôle total. Les yeux dans ceux du jeune homme, elle comprit que les règles du jeu avaient changé. Le défi implicite s'était transformé. A présent, les cavaliers visaient la perfection, à deux. Oubliés les murmures admiratifs, oubliés les regards d'envie. Ne restaient que l'autre et la danse.

La musique ralentit, et eux avec elle. Ils entraient dans un corps à corps. Etrangement, la jeune fille qui ne ressentait rien à sentir ce beau garçon aussi près d'elle tressaillit à son murmure. Soit. Instantanément, elle reprit le contrôle, absorbée simplement par la danse. Mais elle ne pouvait s'empêcher d'y penser. Et si... Et si, pour une fois, elle se relâchait, montrait ce qu'elle était ? Pour les autres, ce n'était qu'une danse, elle pouvait être telle qu'elle était. Ce n'était qu'un tango, et tellement plus que ça. Et pourquoi ne serait-elle pas un peu plus souple ?

Lorsque la musique accéléra de nouveau, elle laissa partir son corps. Le laissa s'exprimer. Plus aucune tentative de contrôle, juste le plaisir de danser. Comme lorsqu'elle combattait, elle ôta son masque.

Finalement, la musique s'arrêta. Pas la magie. Elle ne le lâchait pas. Soudain, elle ressentit un choc, dans son dos. Un couple maladroit qui avait mal anticipé la fin du morceau la bouscula. Elle fut projetée dans les bras d'Alphonse mais continua à le regarder dans les yeux. Obligée de lever la tête, à cause de sa taille modeste. En cela, elle rivalisait avec Pauline.

L’avait-elle entendu ? Ou faisait-elle exprès de ne rien changer ? Son regard était toujours à lui et ses gestes toujours aussi rigides bien que parfaits. N’était-ce pas leur but en même temps … la perfection.
La musique s’accéléra de nouveau et il sentit le corps d’Orwalle se libérer. Progressivement ses mouvements se firent plus amples, plus souples, plus gracieux. Elle se laissait aller et son visage se détendit. Presque un sourire.
Et puis d'un coup la musique s'arrêta. La musique mais pas l'histoire. Les deux jeunes gens se fixaient toujours sans avoir conscience du temps. Jusqu'au moment où, derrière eux, un couple percuta Orwalle qui trébucha dans ses bras. Il n'allait pas la lâcher. Il pensait qu'elle allait se dégager de son étreinte mais, au contraire, elle releva la tête vers lui. Oui la jeune fille le fixait de nouveau. C'était elle qui cherchait son regard, elle qui faisait monter l'intensité de l'échange.Alphonse ne savait pas vraiment quoi faire... Son regard brulait et il le savait, bientôt, ses lentilles auraient fondu sous le feu de ses yeux. Il les ferma quelques instants et en les rouvrant, Orwalle le regardait toujours. Il chuchota

-Voilà, très bien ... libères toi, comme ça ...

Il baissa lui aussi la tête vers sa cavalière, laissant croire qu'il allait l'embrasser mais recula aussitôt l'entraînant dans une nouvelle danse, un rock rapide et mouvementé.

[séducteur né mais tu l'auras pas comme ça ^^ ]

Yeux noirs, yeux verts. Ou plutôt lentilles. Pas même essoufflée, la russe avait cherché l'échange, capturant les yeux du jeune homme dans un filet invisible. Elle observait les lentilles avec une rare intensité, toujours au creux des bras musclés. Elle voulait résoudre un mystère, un paradoxe. Comment se faisait-il qu'un jeune vampire aussi fier de sa famille et de son rang qu'Alphonse ait choisi de dissimuler ses yeux orange-ambré derrière des verres de contact ? Etrange.
Finalement, le garçon ferma les yeux, cédant. Il devait bien se demander ce qu'elle voulait, mais elle était ailleurs. Dans sa mémoire. En temps normal, àcause des lentilles, elle n'aurait pas du pouvoir déclencher son pouvoir, mais le contact physique et la rare intensité de la danse avaient permis au pouvoir de se déclencher, seul. Les pupilles de la jeune fille avaient disparu, mais il était impossible de le distinguer dans les iris d'encre.

Elle, elle était ailleurs. Elle explorait sa mémoire, s'arrêtant parfois sur un moment ou un autre de l'existence du jeune homme. Séjour au manoir. Il la voit durant le dîner, l'air absente. La jeune fille nota mentalement de ne plus porter ce pull bordeaux, il effacait trop ses formes. Elle remonta encore plus loin. Soudain, la morsure de l'aiguille et de la teinture. Elle reconnut aisément cette souffrance pour ce qu'elle était, un tatouage. Au moins un point commun. En haut de l'épaule droite. Elle, un capricorne largement visible sur son omoplate gauche. En réalité, la marque de sa famille, signe astrologique du lointain Vlad Dracul. Une manière inavouée d'expier les crimes de leur ancêtre. Sans anesthésie, ce tatouage brûlait son porteur jour et nuit, jusqu'à sa mort. Pas de blessure, mais une douleur constante. Payez pour lui.

Ajoutée à son bras non-cicatrisé et ses migraine, Orwalle souffrait le martyre ce soir. Mais hurler pour un motif aussi futile que la douleur est indigne d'une personne de son rang. Un instant, elle envia son demi-frère, illégitime donc non-tatoué. Puis le visage d'Alphonse qui se penchait vers elle occulta ce bref moment de faiblesse. Qu'est-ce qu'il comptait faire, l'autre abruti ? S'il s'avisait de l'embrasser, il entendrait parler du pays. Pas qu'elle n'en ait pas envie, mais si Viktor les voyait, il dirait tout à pôpa-môman et elle, elle s'en prendrait une belle à son prochain passage au manoir.

Heureusement, le jeune homme oublia son idée farfelue et l'entraîna dans un rock. Danse plus rapide, plus aisée, ils se fondirent dans la masse des couples qui se trémoussaient. Elle enchaîna les mouvements, continuant à se libérer. A quoi bon garder le masque, son frère n'était pas là à l'espionner. Ni personne d'autre. De toute manière, celui qui s'aviserait de la sermonner se ferait envoyer sur les roses. Pas d'humeur, ce soir je m'amuse, alors laissez-moi ce souvenir d'une fête exceptionnelle.

Elle dansait, oubliait qui elle était et se concentrait sur ce qu'elle était. Sa main frôla l'emplacement du tatouage du jeune homme tandis que lui effleurait le sien. Brièvement, une communion totale eut lieu. Elle se retirait lentement de sa mémoire, réticente à l'abandonner d'un coup.

Qu'avait-elle la demoiselle ? De nouveau un peu plus rigide, et ... ses yeux ... Ses pupilles avaient disparu. Étrange chose qu'Alphonse n'essaya même pas d'expliquer. Il ne se sentait pas très bien, sa tête lui tournait un peu mais il n'y prêta pas attention, il continua de faire voltiger sa partenaire. De toutes façons, au bout de quelques minutes les yeux d'Orwalle reprenaient peu à peu leur consistance normale.
Les passes s'enchaînaient de plus en plus complexes. De plus en plus parfaites. Les deux vampires, pourtant aux pôles opposés l'un de l'autre, ne faisaient qu'un par l'esprit, qu'un par la danse. Il se comprenaient parfaitement, savaient quel serait le mouvement de l'autre et à quel moment, savaient exactement où se placer pour parfaire les mouvements. Les mains glissaient sur le corps de l'autre, sans vraiment s'en rendre compte, sans sensation particulière à ce niveau. Mais par leurs yeux passaient un courant spécial, plus que fort mais très insensé, ils ne se connaissaient pas vraiment et c'était la première fois qu'ils se parlaient réellement.
Les mains remontaient. pour la faire tourner sa main droite se trouvait sur sa taille. Pour la rattraper, au milieu du dos.
Et puis dans un mouvement étrange la main d'Alphonse vint se placer sur l'omoplate gauche d'Orwalle et la main de celle-ci se retrouva sur l'épaule droite du jeune homme. Alphonse tressaillit. Capricorne-Spirale. Spirale-Capricorne. Feu-Glace. Son regard se fit brulant et sous ce brasier les lentilles se rétractèrent et ne furent bientôt qu'un ancien voile sur des yeux redevenu flammes. Communion entre les deux êtres. Chacun était l'autre. Quelques secondes et c'était fini. Il savait maintenant ce qui bloquait sa cavalière. Il lui murmura à l'oreille:

-Pourquoi penses-tu à lui? Le vois-tu quelque part ? Non. Il n'est pas là, peut être ne viendra t-il pas. De quoi as-tu peur ?

Il stoppa la danse et l'entraîna dans un coin prenant au passage deux coupes de champagne. Il en offrit l'une a la jeune fille. Maintenant il ne la laisserait pas avant qu'elle ne lui explique pourquoi elle était comme ça. Pourquoi toujours aussi nerveuse, pourquoi si fermée au monde. Et pourquoi à ce point 'perturbée' par son frère.

Jamais elle n'aurait imaginé cela. Pour elle, les tatouages étaient avant tout des marques de reconnaissance des grandes familles. Alors que cela...
Capricorne-Spirale. Spirale-Capricorne. Une communion totale et intense. Chacun voyait l'esprit de l'autre. Pas les souvenirs, comme la russe en avait l'habitude, mais les pensées les plus fugaces, l'essence même de l'autre. Ses pensées les plus secrètes. Et pourtant... Alphonse se trompait sur toute la ligne. Ce n'était pas son frère, mais sa famille. Car le tatouage traditionnel avait plusieurs facultés : il infligeait une brève douleur toute les minutes, qui augmentait en fonction des circonstances et brûlait lorsqu'on s'apprêtait à agir à l'encontre des principes. Mais autre chose faisait de ce tatouage un instrument terrible. Il permettait d'observer à tout moment où était et ce que faisait son porteur. Parfois même de lire dans les pensées. Elle était mal.

Lorsqu'il l'entraina à l'écart, elle se laissa faire, comme anesthésiée par la douleur qui lui traversait l'omoplate. Il fallait payer ce tango trop sensuel. Pas de grimace, ne rien laisser voir. Elle avait l'habitude, mais cette douleur était plus forte que d'habitude. Elle jalousait son frère, qui n'y avait pas droit. Elle jalousait ses parents, qui avaient l'auto-régénération et l'anti-douleur. Elle était une peste envieuse qui passait son temps à détruire les autres. Avait-elle le droit de craquer pour une fois ? Pouvait-elle montrer qui elle était ? Lui l'avait bien montré, carbonisant les verres. Elle l'aimait mieux ainsi, sans fard. Naturel. Pouvait-elle dire la vérité aussi ? Elle était au point de rupture, trop de pression. Et pourtant, elle n'avait pas le droit de s'effondrer en pleurant dans ses bras. Pas le droit de montrer ses failles. Une bonne petite Van Dingelchen.

"Tu ne comprendrais pas. Personne ne comprendrait. "

La vérité. Mais une manière efficace d'esquiver la question. Lui faire comprendre qu'elle portait sa croix seule, nul besoin d'aide. Personne ne devait savoir qui elle était. Elle avait parlé d'une voix claire, ne laissant pas transparaître la douleur. Jamais. Maintenant, elle devait se débarasser de lui, garder son secret. Trouver un toit, se réfugier, se rouler en boule. Pleurer.

" Mais ne gâche donc pas ta soirée pour moi. Va donc faire plaisir à ces filles qui t'observent depuis tout à l'heure. "

Un sourire complètement faux, si faux qu'il paraissait vrai.

Son tatouage lui brulait encore l'épaule mais il connaissait cette sensation qui ne lui était plus si désagréable à force de jouer avec le feu (autant au sens propre qu'au figuré). Alors comme ça la jeune Orwalle jouait les incomprises ... Il s'apprêtait à lui répondre qu'il était clair et normal que personne ne la comprenne vu qu'elle ne parlait à personne quand elle sortit une autre phrase 'choc' :

" Mais ne gâche donc pas ta soirée pour moi. Va donc faire plaisir à ces filles qui t'observent depuis tout à l'heure. ""

*Alors là très chère demoiselle, tu me connais mal. Premièrement si elles sont envieuses de toi cela ne me dérange pas, deuxièmement c'est à toi que je veux parler et troisièmement je ne lâche pas mes prises ainsi.*

Au moment où il disait ça, il le savait, ses yeux étaient devenus plus rouges, plus francs et Orwalle devait facilement comprendre sa pensée.
Il cherchait un moyen pour tourner cela mieux afin de le lui dire ne trouvait pas vraiment de phrase pertinente... Tant pis, un peu de spontanéité ne fera pas de mal

-Si je peux me permettre, il m'est ou me sera dur de comprendre si tu ne daigne pas en parler. Mais est aussi valable pour les autres personnes ... Ceci étant dit, non je n'irai pas voir ces autres filles, aussi mignonnes soient-elles, parce que là c'est à toi que je parle ... Et à toi que je veux parler.

Il avait quitté son langage de A ce qui ne lui arrivait jamais et de parler ainsi le déboussolait un peu. Oh et puis tant pis, cela pouvait arriver de temps en temps.

*Foutue famille et foutu rang !*

Il avait pensé ça un peu trop fort, si bien qu'il l'avait murmuré... Tant que personne ne l'avait entendu ça irait mais si quelqu'un, rien qu'Orwalle avait compris ... Il ne pourrait certainement plus jamais rentrer chez lui...

Têtu, le Hoch. Mais peut-être avait-il raison. Peut-être pouvait-elle se confier, rien qu'une fois. Elle avait entendu son murmure, elle pouvait lu dire ce qu'elle pensait. Le tatouage l'élancait. Sa mère devait la surveiller. Si elle osait parler...
Mais cette proximité avec le garçon était déjà de trop. La brulure se manifesta. Elle tresaillit. Trop de pression, trop de gens, trop de nouveauté. Migraine trop forte, bras trop mal cicatrisé. Après tout... Elle avoua.

" Ce n'est pas mon frère. Mon tatouage permet à ma famille de me surveiller et de m'infliger de la douleur. "

Elle se dévoilait, enfin. Dire la vérité lui ota un poids de l'estomac, mais elle n'eut pas le temps d'apprécier cette sensation. Une lance de flammes traversa son omoplate puis se répandit dans tout son corps. Jamais encore elle n'avait eu à souffrir comme cela. Des points lumineux envahirent sa vision, ses jambes devinrent de coton. Elle chancela puis s'effondra dans les bras d'Alphonse. Des larmes de colère coulaient sur son visage. Ce devait être sa mère qui s'occupait de la punition.

Sous cette agression, la blessur de son bras s'était rouverte et sa migraine avait triplé. Du sang s'écoula sur le parquet. Merde ! Avec d'autres vamps dans la salle, ils viendraient goûter. C'était du sang de A et elle n'était pas en état de se défendre. Elle devait faire confiance à un garçon qu'elle ne connaissait que par son lien avec son frère. Et ce n'était pas forcément génial.

Elle finit par lâcher prise sous la douleur. A quoi bon lutter ? Si sa mère continuait, elle serait tuée par la douleur. Alors elle se réfugia en elle-même. N'eut que le temps de voir le sol se rapprocher. Et puis... Noir. Repos. Faire une pause, oublier qui on est. Oublier où on en est. Incongru, un air d'harmonica accompagna la russe dans le sommeil.

Il n'eut pas le temps de chercher à comprendre cette phrase qu'Orwalle tressaillit dans un spasme de douleur. Elle lui tomba dans les bras et il la rattrapa de justesse en faisant tomber son verre de champagne qui éclata envoyant voler ses morceaux un peu partout. Elle pleurait dans ses bras et il sentait les forces de la jeune fille s'en aller irrémédiablement. Du sang. Du sang plein sur le parquet. Déjà les autres vampires présents dans la pièce s'étaient retournés, aux aguets.
*Merde, merde quel abruti ! J'fais quoi là ...*
Les vampires s'approchaient lentement mais visiblement alors il sera Orwalle dans ses bras en grondant

-N'essayez même pas de vous approcher ...

Lui même faisait quelques efforts pour se contenir mais il y arrivait connaissant la victime. Le sang coulait à flot; il venait du bras de la jeune fille. Celle-ci devenait de plus en plus blanche, encore plus que par son état habituel . Elle se faisait de plus en plus lourde dans les bras d'Alphonse et les vampires continuaient de s'approcher. Un serveur tout près de la scène demanda si il avait besoin d'aide

-Non c'est bon, elle s'est coupée avec un morceau de verre... Mais vous ferriez bien de vite enlever le sang ...

Très bien le coup du verre, pas besoin de chercher d'excuse comme ça. Il desserra Orwalle pour lui demander comment elle se sentait mais elle tomba. Inconsciente. Il la rattrapa de nouveau avant qu'elle ne touche le sol et la souleva doucement contre lui. Il gronda de nouveau

-N'essayez pas...

Et il sortit de la salle Orwalle dans les bras en bousculant les gens qui se trouvaient devant lui. Quelques vampires le suivirent dehors mais il s'empressa d'enflammer un bout de leurs vêtement sifflant qu'il les auraient prévenus.
Pendant qu'il emmenait Orwalle dans un lieu en sécurité, sa chambre, il se fit la promesse mentale de ne plus jamais se mêler d'affaires qui ne le concernaient pas. La soirée de Noël était finie pour eux deux...

Spoiler:

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